Il est parfois dommage de ne pouvoir partager le portrait d’une personne qu’à travers l’écrit. Surtout quand la personne en question a fait, et beaucoup fait !
Des anecdotes plein le sac à dos, racontées avec des métaphores qui donnent le sourire, sur un ton qui vous invite simplement à enfourcher votre vélo et à partir découvrir le monde. Mais voilà : comme une vie ne suffit pas à explorer la planète, un article ne suffit pas non plus à raconter toutes les histoires d’un baroudeur comme François.
Nous allons tout de même tenter de vous en donner un aperçu…

Voyager, ça ouvre l’esprit.
Est-ce que tu peux te présenter ?
Je m’appelle François Perrin, j’ai 76 ans et j’habite à Antraigues-sur-Volane, en Ardèche. Non loin d’où je suis originaire, puisque je viens d’Aubenas.
Ma vie m’a conduit à habiter un peu partout en France. Sans retracer tout mon parcours, il faut savoir que j’ai été pendant de nombreuses années entraîneur de basket-ball professionnel. Un métier qui m’a souvent amené à changer de région, au gré des équipes que j’entraînais ! J’ai clôturé ce chapitre après avoir dirigé une équipe féminine à Challes-les-Eaux. Les filles m’ont achevé, j’ai cru me suicider après cette dernière année ! (rire) Suite à cela, je suis tout de même resté dans le milieu de l’encadrement sportif en devenant moniteur de ski.
Tu comprendras que dans les deux cas, il y a une « saison morte »… que j’ai donc mise à profit pour passer du temps sur mon vélo. C’est bien de ça dont tu veux parler, je crois ?
Justement, comment as-tu été « hameçonné » par le voyage à vélo ?
Jeune, avec mon ami d’enfance Pierre Soboul, nous étions scouts Éclaireurs de France. C’est peut-être là que la petite graine du voyage, de l’expédition, de la découverte, a été semée. Je ne sais pas trop comment le dire. Bref, on a toujours plus ou moins voyagé.

Mais un jour, on est partis à vélo en Kirghizie. Ce premier voyage a été, disons-le, assez… tumultueux ! Nous étions mal équipés : du matériel pas du tout adapté, des crevaisons à répétition vingt-cinq par jour peut-être ! Et puis la République kirghize, anciennement soviétique, regorgeait de pistes militaires non référencées sur nos cartes.
Mais ça ne nous a pas découragés. À partir de là, je crois bien que je n’ai plus visité le monde qu’à vélo !
Ci-contre : le » tableau de chasse » de François
Un voyage comme les tiens, c’est forcément plein d’imprévus. Est-ce que tu prépares beaucoup les choses ?
Je prévois dans les grandes lignes. J’étudie grossièrement les zones que je souhaite parcourir, mais je n’ai jamais de planning précis. En revanche, par souci d’économie sur le billet d’avion, j’ai toujours une date de retour fixée. Sur place, évidemment, il y a toujours des imprévus : il faut s’adapter en permanence. Et parfois, il ne faut pas hésiter à monter dans un camion pour se sortir d’un mauvais pas… comme par exemple du centre-ville de New Delhi !

Tu voyages plutôt seul ou accompagné ?
Très souvent à deux. Trois, ce n’est pas un bon nombre pour ce genre de projet.
Seul, j’ai tout de même parcouru tous les pays des Balkans pendant presque deux mois. Et seul, c’est bien aussi : tu vas plus facilement vers les gens, et eux viennent plus volontiers vers toi. Ça facilite les rencontres.

Mais la plupart du temps, je suis parti avec Françoise, ma femme, ou avec Pierrot, mon ami d’enfance. Quand on part à deux, il faut accepter les différences. Accepter les défauts de l’autre. Quand Pierrot ronfle à décoller le papier peint des murs alors qu’on vient d’être accueillis dans une yourte au fin fond du plateau kirghize, et que toute la famille est prête à s’enfuir… il faut savoir prendre les choses avec humour, malgré l’inconfort ! Mais une fois que tu dépasses tout ça, tu arrives à un point où tu comprends l’autre sans parler. Avec Pierrot, quand ça ne va pas, on n’a même pas besoin de se le dire : ça ne va pas, c’est tout !
Qu’est-ce que tu retiens le plus de tous ces voyages ?
L’essentiel, c’est le contact avec les gens. Il n’y a rien de plus important. Dans une autre vie, j’étais pingouin ! J’aime vivre en communauté, avec des gens, dans des relations humaines. Même quand la communication est difficile, il faut trouver des solutions pour la rendre plus simple : un papier, un crayon, un dessin, et le message passe.
Dans une autre vie, j’étais pingouin !
La chance que nous avons eue, c’est de rencontrer des gens chez qui la télévision n’est jamais arrivée. Des gamins heureux, qui savent encore jouer entre eux avec trois fois rien. Et puis, quand la télé arrive… les cheveux jaunes, les tatouages, ça rend fou !

Je retiens surtout la générosité des gens : ceux qui te font manger alors qu’ils ont à peine de quoi vivre. Quand tu vis ça, tu ne peux qu’aimer les gens.
As-tu déjà ressenti des moments d’insécurité ?
Une fois, sous ma tente, un type a débarqué en hurlant. Je ne sais pas ce qu’il voulait, et il est reparti aussi vite, voyant qu’il n’y avait pas grand-chose à obtenir de moi.
“ Ça y est, c’est fini pour lui ! ”
Une autre fois, en haut d’un col kirghize, un homme a attrapé mon vélo, m’a secoué, a crié… Il a failli me faire tomber. Je ne comprenais rien ! La moutarde m’est montée, et je lui ai mis un coup de boule ! (rire) L’homme est tombé raide au sol. Et là, j’ai vu arriver quatre gaillards d’un côté, et Pierrot de l’autre, qui terminait le col à vélo et assistait à la scène. Il devait se dire : “Ça y est, c’est fini pour lui !” Mais les quatre types sont venus, ont pris chacun un membre de mon agresseur et sont repartis… sans même me regarder. Là, j’ai soufflé ! Ce sont les deux seules fois où j’ai vraiment eu peur.
Quels conseils donnerais-tu à ceux qui veulent se lancer dans le voyage à vélo ?
De bien s’équiper, c’est la clé. Vélo, duvet, tente, matériel divers et varié… c’est ce qui compte le plus. Il ne faut pas regarder le prix. Quand on hésite entre du moyen et du très bon, il ne faut pas hésiter : il faut prendre le meilleur, pour éviter les galères. Quand on a peu de confort, il faut pouvoir apprécier le peu qu’on a. Et puis, si possible, épouser une femme aussi bien que la mienne… mais ça, chacun fera comme il voudra !

Quand on a peu de confort, il faut pouvoir apprécier le peu qu’on a.
Encore des projets ?
Tu sais, maintenant je suis passé à l’électrique, alors ce n’est plus comme avant. Ça n’a plus la même saveur. Bien sûr, je suis ravi de mon Moustache (mon vélo électrique) et des voyages qu’on fait encore de temps à autre (Espagne, Majorque…), mais je sais qu’on est désormais cantonnés à certaines zones. Il faut penser à recharger les batteries, et dans certains endroits du monde, comme ceux qu’on avait l’habitude de parcourir, ce n’est tout simplement pas possible. Le véritable esprit du voyage à vélo, pour moi, c’est le musculaire. Alors non, je n’ai pas de projet clairement ficelé pour l’instant, mais j’aimerais refaire un beau périple avec mon ami Pierrot, avant qu’il ne meure (mais ça, je ne veux pas lui dire !).

Le mot de la fin ?
C’est la fin !!! Et c’est bien ça, le problème !
Il faut encourager les gens à voyager à vélo. Quand j’ai découvert cette manière de voyager, je n’ai plus accepté de le faire autrement. Voyager, ça ouvre l’esprit.

Crédit photos : Abel Nury
